Depuis toujours, j’ai voulu vivre cette expérience. Je ne suis pas pro-allaitement maternel par-dessus tout. Ceux qui me connaissent savent que la seule chose que je défends, c’est le libre choix de chaque maman de faire ce qui lui convient le mieux pour sa situation spécifique et particulière. Je savais aussi que mon expérience de mère allaitante avait une date de péremption, et je connaissais cette date même avant d’y avoir commencé. Je savais ce que je voulais, et jusqu’à quand je le voulais, parce que c’était ce qui me correspondait le plus. C’est par conséquent ce qui allait me permettre de vivre pleinement ma maternité, de sorte à donner le meilleur de moi-même pour mon bébé.
J’ai décidé d’allaiter mes enfants, et j’ai eu la grande chance de pouvoir le faire dans les meilleures conditions possibles. J’ai dû faire face aux difficultés «courantes», douleurs et contretemps de l’allaitement. En contrepartie, j’ai vécu des moments merveilleux en voyant mes bébés s’endormir accrochés au sein de satisfaction. Et depuis la première tétée, j’ai toujours eu en tête que cela n’allait pas s’éterniser, il fallait donc en profiter à fond.
Mon idée de mettre une date limite à l’allaitement ne répondait pas à des impératifs professionnels. À nouveau, je me considère très chanceuse. De nos jours encore, beaucoup de femmes sont obligées d’arrêter d’allaiter, à contrecœur, parce que leur congé maternité se termine et que dans la grande majorité des lieux de travail, les circonstances ne se donnent pas pour qu’une mère allaitante puisse trouver le moment et les commodités nécessaires pour se tirer du lait et le garder jusqu’à son retour à la maison. Non, ma décision était purement personnelle, et même cela n’a pas été facile le moment venu. Mon plan initial était donc le suivant: j’arrêterais d’allaiter ou bien lors de la première dent (en espérant secrètement qu’elle se retarde le plus possible) ou lorsqu’ils auraient six mois, et donc avec la diversification alimentaire.
Les raisons? Bien que futile comme excuse, je n’avais pas envie que mon téton devienne un anneau de dentition. J’ai adoré mes allaitements, mais j’ai également souffert avec les engorgements, les canaux bouchés, entre autres, donc l’idée d’ajouter une dent à tout cela chez un bébé qui apprend encore à exister (littéralement); c’était au dessus de mes forces. D’un autre côté, une fois une grande partie des aliments à tendance allergique introduits, je ne considérais plus vraiment d’actualité de continuer avec l’allaitement. Pour moi, cela venait de soi de passer au biberon et ainsi, passer le relais à papa pour l’alimentation. Oui, je sais que les tire-laits existent, mais une bonne partie de mes problèmes liés à l’allaitement étaient dû à l’usage de ces engins qui sur-stimulaient davantage une production déjà assez généreuse de lait. Pour mes enfants, la diversification alimentaire et l’introduction des biberons ont amené des nuits plus longues de sommeil pour tous, ce qui a permis de contrebalancer cette séparation.
Alors une fois cela expliqué, voici en détail mon expérience de sevrage avec mes deux enfants.
L’aîné
Pour le grand, tout s’est passé de manière très douce. En plein milieu de la pandémie, sans plans, sans besoin de brusquer le sevrage. Nous étions tous à la maison, mon mari profitait de cet arrêt forcé pour passer plus de temps avec notre bébé rondelet et en plus nous étions accompagnés d’une météo jamais vue auparavant, donc quoi de mieux. Je combinais un allaitement à 100% avec une introduction graduelle des aliments sous les conseils de la pédiatre et tout se passait à merveille. Je remplaçais petit à petit des portions plus importantes, ainsi que des repas par les tétées de la journée. J’ai aussi introduit les biberons de lait en poudre durant la journée en gardant les tétées comme complément des repas (ou desserts) afin d’envoyer le message qu’il fallait diminuer progressivement la production de lait.
À la fin du sixième mois, il n’était au sein que le soir, la nuit et au petit matin. Comme le monde s’était arrêté, j’ai profité pour prendre mon temps dans le processus. Sauf que voilà, le confinement s’allongeait et je commençais à vouloir partager un verre de vin blanc quand je faisais les vidéoconférences avec mes copines. On avait toutes besoin de parler, de rigoler, de pleurer et de déconnecter dans ces moments parfois difficiles. J’ai fait beaucoup d’exceptions alimentaires durant mes deux grossesses et la période d’allaitement, mais l’alcool ça n’a jamais été une d’elles. Donc quand j’ai commencé à prendre de petites gorgées, on a décidé avec mon mari qu’il était temps de détacher le petit de maman (physiquement). J’avais déjà commencé à introduire des biberons aussi la nuit et le matin, donc en réalité les tétées qui restaient, c’était plutôt pour me maintenir accroché à mon bébé d’amour. Je me suis laissé quelques jours pour intégrer la réalité et j’ai choisi lequel serait mon dernier soir de maman allaitante. Je ne vais pas vous mentir, j’ai regagné en liberté, j’ai commencé à revoir mon corps pré-grossesse réapparaître dans le miroir, notre sommeil s’est nettement amélioré, et nous avons récupéré aussi un lien intime fort dans le couple.
Mais j’ai pleuré ce soir-là, sur mon canapé avec lui accroché à mon sein car je savais que quelque chose allait disparaître à jamais. J’ai pleuré pour ce qui se terminait, pour ce que je laissais en arrière. Une étape se fermait et elle n’allait plus jamais revenir. Je devais désormais apprendre à vivre avec mon fils autrement.
Avoir pris mon temps pour le sevrage nous avait permis de ne pas brusquer notre petit dans ce nouveau monde du biberon et de la diversification alimentaire. Il avait bien accepté sa nouvelle vie, mieux que moi sûrement. De mon côté, les messages passaient à la perfection et la production de lait se réduisait petit à petit, au point de ne pas avoir développé un seul problème au niveau des seins, pas de douleurs ou d’engorgements. Je peux vous dire que ce sevrage avait été un succès pour nous deux.
La deuxième
En ce qui concerne ma fille, j’avais une date butoir. Mon mari et moi avions prévu un voyage à l’étranger afin de célébrer nos dix ans ensemble, l’obtention de ma nationalité suisse (après douze ans dans ce pays) et nous voulions aussi profiter pour que ce soit notre voyage de noces que nous n’avions pas pu réaliser à l’époque. Vous l’avez compris, les enfants n’étaient pas invités. Avec cela en tête, j’avais deux mois pour me préparer (naïve de moi). Avec la pédiatre, nous avions discuté de la meilleure stratégie, puisqu’elle allait fêter ses six mois quand ses parents allaient être à l’autre bout du monde. Il fallait donc que j’introduise petit à petit des aliments plus tôt que ce que j’avais fait avec son frère, pour soi-disant réduire les probabilités d’allergies tant qu’elle était encore au lait maternel.
Je ne vais pas vous mentir que cette fois, c’était bien plus dur. J’avais vraiment besoin de ce voyage en amoureux, mais je n’avais pas envie d’arrêter l’allaitement de manière aussi forcée. Nous n’étions pas encore sûrs de vouloir un troisième enfant tout de suite. Par conséquent, ce bébé allaité avait de fortes chances d’être mon dernier. J’avais donc commencé l’introduction des aliments six semaines avant notre départ. Cette fois, à l’inverse de l’aîné, il n’était plus nécessaire d’insister trois jours de suite sur le même aliment, donc chaque jour elle pouvait avoir un menu différent. Encore une fois, tout s’est bien passé et à ce jour aucune allergie n’est à signaler.
Comme avec son frère, je combinais tétées et petits repas. Je dois avouer que j’étais assez surprise, puisqu’à la différence de son frère, elle avait eu plus de mal à accepter le biberon dès le début, même avec du lait maternel. À deux semaines du voyage, j’avais décidé de passer au biberon de manière douce. D’abord en remplaçant les petites tétées, donc celles d’après les repas. Ensuite en combinant biberon et lait maternel afin, à nouveau, d’envoyer le message au centre de production pour qu’il commence à réduire la cadence.
Deux jours avant notre départ, notre petite était sevrée, non sans la session de larmes de maman de devoir dire adieu à cette expérience si précieuse. Je ne savais pas si c’était la dernière fois que j’allais vivre cela, et j’étais vraiment très triste, et en même temps j’avais honte de le dire ouvertement, puisque tout découlait d’une décision personnelle. Je sentais que parce que cela avait été mon choix, que je n’avais pas le droit, ou la légitimité de montrer ma tristesse. Alors je ne sais pas si c’est parce qu’au final ce sevrage a été plus brusque ou parce que mon “moi intérieur” refusait de l’accepter, mais j’ai passé toute la semaine de mon voyage avec des douleurs aux seins et de grosses fuites de lait. En même temps, chaque goutte de lait qui sortait me rappelait ce que j’avais laissé en arrière, donc j’avais l’impression que le cercle n’en finissait pas.
Jusqu’au dernier jour des vacances, le jour où l’on rentrait, lorsque tout d’un coup, il n’y avait plus de douleurs, plus d’inflammations, plus de pertes. Le cerveau est décidément une arme incroyable. Je gardais l’espoir qu’une probabilité existait que la petite s’accroche au sein à notre retour, puisque tout avait l’air de fonctionner encore à plein temps, mais non. Elle n’avait pas essayé de revenir et moi j’ai dû accepter une fois pour toutes que c’était vraiment fini, non sans un peu d’amertume. Mon deuxième sevrage avait définitivement été plus dur dans l’aspect émotionnel pour ce que cela représentait. Il avait aussi été plus difficile physiquement, car je ne m’étais peut-être pas prise assez à l’avance.
Je suis actuellement à ma troisième grossesse, et j’ai appris beaucoup dans ce chemin. Aujourd’hui, je regrette d’avoir eu honte et de ne pas avoir parlé plus ouvertement du sentiment qui occupait mon corps à l’époque. Partager sur le moment ce que je ressentais aurait pu m’aider émotionnellement et peut être que l’aspect physiologique aurait suivi. Je ne peux qu’admirer toutes ces mamans qui ont dû forcer un sevrage à cause du retour au travail ou d’un problème de santé, car ce qu’elles ont vécu n’est pas facile. Elles ont dû montrer beaucoup de force et de courage et sûrement, elles ont eu l’impression d’être invisibles et seules dans leur détresse.
Courage à vous, Mamans.