de la conception
à la maternité
a man and woman standing next to a basket with a teddy bear

Témoignage: Le deuil périnatal

Une histoire poignante pour vaincre le tabou des fausses couches

Ce témoignage est fort en émotions et aide à libérer la parole sur ce sujet délicat. Les fausses couches touchent 1 femme sur 5, des chiffres bien trop élevés pour une situation qui reste souvent tabou.

C’est une histoire qui se termine bien, mais une histoire qui a marqué nos protagonistes à jamais.

 

Notre première grossesse a eu lieu en 2010, mais nous l’avons appris seulement lorsque j’ai fait une fausse couche, assez tôt.

En toute honnêteté, nous ne l’avions pas vécu comme un deuil, nous étions encore aux études (22 ans), ma mère avait son premier cancer du sein, et mon copain (qui est aujourd’hui mon mari) et moi-même avons fait un déni de cette grossesse. Je pense que nous avons réalisé ce qui nous était arrivé beaucoup plus tard, seulement quelques années après…

La vie a continué, les années passaient, nous nous sommes mariés et nous avions le projet d’agrandir notre famille, mais à chaque fois ce n’était jamais «le bon moment»: l’un était prêt et l’autre pas, ensuite c’était l’inverse, ensuite il y avait ce voyage, cette formation… et en 2020, au début du Covid, je suis tombée enceinte. Ça a été une surprise, je travaillais beaucoup (comme toute infirmière durant cette période en particulier) et j’avais un retard de quelques jours, que j’ai mis sur le compte du stress. J’ai quand même fait un test de grossesse et lorsqu’il s’est révélé positif ça a été une évidence: nous allions devenir parents et nous étions aux anges! Ce bébé avait décidé d’arriver de lui-même dans ce moment où le monde entier sombrait et perdait espoir face à ce terrible virus, mais au lieu d’avoir peur nous étions confiants et heureux.

Nous avons gardé cette nouvelle pour nous, j’ai été faire la première échographie toute seule à cause des restrictions et j’ai entendu le son le plus beau au monde: le cœur de notre bébé battre. La vie était belle, jusqu’à ce jour après 3 mois où j’ai eu des saignements qui devenaient de plus en plus importants. Le lendemain, mon gynécologue ne pouvait pas me recevoir et j’ai été envoyée aux urgences de la maternité du CHUV, seule, car Covid oblige. J’attends 5 longues heures, avec des douleurs, des saignements, mais surtout avec une angoisse qui augmentait de plus en plus. Je n’ai plus de batterie sur mon natel et je ne peux même pas donner de nouvelles à mon mari. Je vois enfin une doctoresse assistante avec une étudiante en médecine, et après plusieurs examens (douloureux et parfois violents) elle me dit, à trois reprises: «Il n’y a pas d’activité cardiaque, vous êtes infirmière, vous savez ce que ça veut dire.» Je pleure, comment est-ce possible? Jusqu’à 24h avant, je n’arrivais pas à arrêter de sourire non-stop et là je vis le pire moment de ma vie. Seule.

Je rentre donc à la maison à pied, en pleurs et seulement une fois arrivée à la maison, j’annonce la nouvelle à mon mari. Notre bébé est mort dans mon ventre. Le lendemain, je vais travailler et le soir le travail commence tout seul et dure 48h. Et puis c’est terminé. Mon ventre est vide. Je suis dévastée, j’en parle avec quelques amies et collègues mais pas à nos familles (qui habitent à 300 km de chez nous, et ma mère vient d’apprendre qu’elle a de nouveau le cancer). J’ai reçu pas mal de commentaires, probablement maladroits mais qui m’ont énormément blessée, comme «mieux vaut maintenant que plus tard», «la nature est bien faite», «c’est parce que tu travailles trop», «ce n’était pas encore un enfant». Cela est ce qu’on appelle du «grief shaming». C’est enlever l’importance et la valeur que le deuil et cette vie ont eues. Ce bébé a bel et bien existé pourtant. Et je ne dis pas cela seulement car son cœur battait. Mais aussi parce que je pars du principe que l’on devient maman et papa du moment qu’on décide d’avoir un enfant, et entendre ces paroles blessantes c’est comme renier tout cela.

Je prends les choses en main (ou du moins, c’est ce que je crois) et je commence une thérapie, j’essaie de me reconstruire. Mais quelque chose s’est éteint, on me le dit, «ta lumière et ton peps ne sont plus là».

Quelque temps après (deux mois environ), je retombe enceinte, mais je n’arrive pas à me réjouir, j’ai très peur. Mon mari est beaucoup plus optimiste, il voit cette grossesse comme une renaissance, un nouveau départ et ça ne peut que bien se passer.

Malheureusement, je refais une fausse couche. Je suis déjà dévastée, je ne peux pas tomber encore plus bas. Mon mari par contre semble plus souffrir cette fois. Probablement que la dernière fois, il ne s’est pas laissé le droit de vivre pleinement son deuil car il pensait devoir être plus fort pour moi; cette fois j’étais vide, et tout s’est écroulé pour lui.

Je suis triste bien sûr, mais surtout fâchée, déçue et j’en veux à mon corps, qui est devenu synonyme de destruction.

Autour de nous, les grossesses se multiplient (23 pour être précis), des grossesses heureuses, légères et qui arrivent à terme.

Nous devons nous reconstruire, mais quelque chose est mort en moi avec nos bébés. Je m’isole, je vis avec l’angoisse d’une nouvelle annonce de grossesse de la part de proches, et je ne peux pas me réjouir pour eux. A chaque annonce, mon cœur se brise, je ne peux pas me réjouir pour ces couples, je suis replongé à ce moment «il n’y a pas d’activité cardiaque, vous êtes infirmière, vous savez ce que ça veut dire».

J’ai clairement un PTSD (syndrome de stress post-traumatique).

Je fais semblant d’aller bien mais tous les soirs, je m’endors en pleurant. Là aussi j’ai droit à des commentaires: «tu ne peux pas être aussi triste, les personnes qui souffrent POUR DE VRAI, qu’est-ce qu’elles devraient faire?», «Tu exagères, tu ne peux pas être aussi mal» ou encore «si tu es vraiment comme ça mal, il faut peut-être envisager d’adopter» ou le classique «faut le vouloir vraiment pour que ça marche».

Nous faisons des analyses et rien n’explique vraiment ces fausses couches, éventuellement un problème au niveau d’un facteur de coagulation et on me prescrit de l’aspirine cardio du coup.

Je continue ma thérapie, mais mon corps, mon cœur et ma matrice étaient épuisés. Comment pouvais-je mener une grossesse à terme?

Je fais un travail sur moi-même pendant quelques mois, où on me demande explicitement de ne pas tomber enceinte.

Une fois que nous avons le feu vert, nous décidons d’essayer à nouveau, et quand je retombe enceinte nous sommes tous les deux terrorisés et gardons ce «secret» pour nous pendant un peu plus de trois mois et demi.

Nous l’annonçons d’abord à nos familles et en même temps, nous leur racontons toute notre histoire, car jusqu’à présent ils n’étaient pas au courant de nos fausses couches.

Nous avions voulu les protéger pour plusieurs raisons, et en même temps nous protéger aussi. Nous avions supporté pas mal de grief shaming de la part d’amis, nous n’aurions pas supporté si cela venait de la part de nos familles aussi.

Effectivement certaines personnes l’ont compris, d’autres pas.

On a eu droit à «tu travailles trop», «tu fais trop de sport», «maintenant il faudra arrêter de travailler/de faire du yoga» et aussi à «beaucoup de femmes font des fausses couches, la fille d’un telle par exemple et tout va bien pour elle». Ma mère étant présente, je lui ai posé la question suivante: «beaucoup de femmes ont le cancer du sein, toi tu l’as eu plusieurs fois. Est-ce que ça t’a rassuré de savoir que ça arrive à beaucoup d’autres femmes quand ça t’est arrivé à toi?» Bien évidemment sa réponse était non. C’est une question violente, dérangeante, mais ce qu’on vit quand on perd un bébé l’est tout autant. Chaque histoire est unique et nous ne pouvons jamais savoir à l’avance si on sera du bon côté des statistiques. J’avais lu que quand on vit une grossesse après une fausse couche (peu importe à quel stade), c’est un peu comme regarder la mer depuis une plage paradisiaque après avoir vécu un tsunami: on est censés se sentir en vacances, heureux et enthousiaste, mais on reste sur le qui-vive, car on sait que tout peut basculer d’un moment à l’autre.

Nous avons attendu encore quelque temps avant de l’annoncer à tous nos amis. Chaque rendez-vous médical était l’occasion d’avoir des confirmations qui étaient censées nous rassurer, et même si les nouvelles étaient toujours bonnes, nous n’arrivions pas à être complètement sereins.

Je passe ma grossesse à aller aux toilettes pour vérifier si j’ai des saignements ou pas.

J’ai beaucoup parlé de ces bébés et de notre parcours à chaque fois que quelqu’un me félicitait, parce que je ne savais pas ce que la personne en face de moi était en train de vivre ou avait vécu. Est-ce que cette personne a le cœur brisé par des fausses couches, grossesses ectopiques, mort in-utero ou même une infertilité? Si c’était le cas, j’espérais en tout cas que mon partage pouvait au moins la faire sentir moins seule et moins «agressée par mon bonheur».

J’ai eu un arrêt de travail relativement tôt à cause des contractions, et j’ai eu l’impression que cette grossesse durait 23 mois. Une grossesse après des fausses couches inévitablement reste anxiogène, et j’aurais souhaité la vivre avec plus de légèreté, «naïveté» et insouciance.

J’ai tout de même continué à pratiquer et enseigner du yoga, j’en avais besoin surtout pour ma santé mentale. Je me suis formée au yoga prénatal également. Je ne pouvais pas m’arrêter complètement, car si je m’arrêtais, je replongeais dans mon PTSD. Lorsque je pratiquais, mon corps n’était plus synonyme de destruction mais de création, et pratiquer enceinte était quelque chose de très puissant.

Par contre, j’ai vécu l’accouchement avec beaucoup de sérénité. Même quand on nous a annoncé que notre fille allait devoir venir au monde par césarienne, nous avons pris 5 minutes pour lui expliquer qu’elle allait sortir par la sortie de secours mais que tout allait bien se passer. Et je le pensais vraiment. J’étais dans un environnement calme dans une clinique privée et entourée de belles personnes (mon mari, des sages-femmes adorables, et surtout mon gynécologue en qui j’ai une confiance aveugle). Mon plan de naissance se résumait par «je veux à tout prix éviter d’aller au CHUV», car c’était là où mon monde s’est écroulé et où j’ai vécu de la maltraitance physique et psychologique.

Dans ma tête notre fille était en danger dans mon ventre, mais une fois qu’on l’a entendue pleurer et qu’on a vu ses grands yeux aux longs cils nous regarder, on avait enfin la certitude qu’elle allait bien, elle était dans nos bras.

Je pouvais enfin respirer, après 9 interminables mois. Contre toute attente, mon anxiété a disparu dès qu’elle est née, car je lui fais confiance, je me fais confiance et je nous fais confiance.

Notre Rainbow Baby (un bébé qui arrive après des fausses couches) est arrivée dans ce monde avec déjà un gros bagage et des responsabilités qui ne lui appartiennent pas. Elle est bien arrivée après la pluie, après une tempête, après un tsunami qui a signé un avant et un après.

Je vis avec ce conflit intérieur où je culpabilise d’être triste et de regretter d’avoir perdu des bébés avant elle, et en même temps pour rien au monde je ne pourrais m’imaginer que mon bébé soit quelqu’un d’autre qu’elle.

Le fait d’avoir eu notre fille n’a rien enlevé à la douleur qui est toujours présente de ce deuil périnatal. Et en toute honnêteté, je ne cherche pas à la soigner, car c’est plus ou moins la seule preuve (avec des échographies) que ces bébés ont bien existé.

Cela ne veut par contre pas dire que je suis encore déprimée. Je veux vivre, je veux voir ma fille grandir et s’épanouir et je continuerai à lui parler de ses frères (qui étaient des garçons) qui ont existé avant son arrivée à elle.

Notre Rainbow Baby est littéralement un petit soleil dans notre quotidien.

Je me suis souvent demandé quel type de parents nous aurions été si je n’avais pas fait cette fausse couche en 2020. Je n’ai pas de réponse, mais je pense que notre expérience nous a amenés à être probablement plus résilients et également à ne pas nous laisser le droit de nous «plaindre» lors des moments plus compliqués (p. ex. les nuits plus difficiles ou les poussées de croissance). Ce que je veux dire par là, c’est que nous l’avions tellement voulue et espérée que même lorsqu’elle pleure pendant des heures, on a plutôt tendance à se dire «elle est vivante, je ne vais pas me plaindre parce qu’elle ne dort pas cette nuit».

Je parle beaucoup de notre parcours, pas pour chercher de la compassion, je n’en ai pas besoin.

Je le fais pour toutes les mamans et les papas qui traversent des moments difficiles en lien avec le deuil périnatal.

J’en parle pour sensibiliser les personnes qui n’ont pas eu à vivre ça sur l’impact que certains mots peuvent avoir, même si dit avec maladresse et bienveillance.

J’en parle pour que ce soit moins tabou.

Et j’en parle en mémoire de tous les bébés perdus et en honneur de tous les enfants d’après.

«Il n’y a pas d’activité cardiaque, vous êtes infirmière, vous savez ce que ça veut dire.» Je pleure, comment est-ce possible? Jusqu’à 24h avant, je n’arrivais pas à arrêter de sourire non-stop et là je vis le pire moment de ma vie. Seule.

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