Trois médecins spécialisés, une salle pour des interventions ambulatoires et une salle pour un accompagnement avec de la médecine complémentaire (traditionnelle chinoise).
Une équipe de secrétaires soucieuses et sensibilisées à l’endométriose a été spécialement sélectionnée pour travailler avec des personnes qui souffrent et qui viennent chercher des solutions (souvent après des années de mauvais diagnostics ou traitements).
Le Dr Wenger a souhaité offrir une prise en charge globale, d’où son intérêt de former une équipe multidisciplinaire. En reprenant ses mots, «cette maladie touche à tous les aspects de la vie d’une femme; physiquement, psychologiquement, sexuellement et professionnellement». Elle doit subir des conséquences dans ses relations avec elle-même, avec son environnement social, familial et professionnel, car certaines femmes doivent être à l’arrêt de travail 1 voire 2 semaines par mois. L’endométriose les empêche d’avoir une vie sexuelle épanouie ou même de rêver de fonder une famille. Leur entourage ne comprend parfois pas la situation et se montre critique et parfois même ignore la souffrance subie.
Des douleurs peuvent handicaper la personne pour certaines activités et l’empêcher de s’épanouir comme elle le souhaiterait. Malheureusement, les tests médicaux ne montrent pas forcément des éléments anormaux et de nombreuses femmes s’entendent dire, «Madame, c’est dans la tête». Le Dr Wenger nous explique que tous ces problèmes sont tellement handicapants, que même une fois la maladie traitée physiquement, certaines femmes n’arrivent toujours pas à vivre une vie «normale». Après toutes ces années de souffrance et de douleurs, le cerveau associe certaines pratiques, comme les relations intimes, à la douleur. C’est là qu’une autre équipe doit entrer en jeu; psychologues, sexologues et parfois même urologues, pour apprendre à la patiente et à son cerveau à ne pas anticiper une douleur qui n’est plus là. Ces femmes quelques fois doivent être accompagnées pour apprendre à vivre sans l’endométriose.
Cette rencontre nous a beaucoup touchées. Nous avons pu avoir un échange profond et sans tabous sur cette maladie. Nous avons eu l’immense privilège d’être invitées par le Dr Shabanov à assister à une intervention d’endométriose au bloc opératoire où nous avons pu suivre l’intervention et échanger davantage. Nous avons enregistré certains de ces échanges pour Bouncy Mag. Des vidéos, des photos et certaines questions n’ont pas été prises ou enregistrées afin de protéger la confidentialité et l’intimité de la patiente et de l’équipe médicale qui nous a accueilli les bras ouverts.
Le travail minutieux des chirurgiens a été effectué à la main, et non avec des robots, afin de ne pas endommager d’autres organes et «mieux sentir la texture (dur-mauvais- mous -sain-) et à savoir jusqu’où nous devons aller». L’intervention chirurgicale pour enlever l’endométriose peut s’avérer simple, mais en reprenant les propos du Dr Wenger, nous ne savons pas vraiment quelle est l’atteinte réelle, avant de voir à l’intérieur. Une fois que nous avons les yeux dedans, nous pouvons mieux estimer le temps d’intervention. Une laparoscopie, à priori courte, pourra prendre plus longtemps si l’endométriose s’est infiltrée à certaines parties comme le vagin ou le colon, où l’utilisation d’un laser encore plus fin et précis sera nécessaire pour séparer la maladie. Un travail qui nécessite de la patience et un savoir-faire important.
Selon le Dr Wenger et le Dr Shabanov, la difficulté à opérer l’endométriose réside dans la précision avec laquelle il faut enlever la maladie avec le laser. «Tout enlever sans trop enlever» est la phrase clé de cette maladie; enlever l’endométriose sans endommager les tissus sains.
Car il faut comprendre que l’endométriose se soigne si on enlève toute la maladie chirurgicalement. Les médicaments et hormones qui inhibent les règles ne font que traiter les symptômes sans toutefois guérir les patientes. Le traitement optimal va dépendre de la situation individuelle de chaque femme, de son degré de maladie, de son atteinte, de son âge, etc.
Discussion et question sur les statistiques sur l’endométriose, incidence ainsi que le diagnostic tardif et à quoi cela est dû
Pour la fréquence, cela dépend du groupe étudié; où est-ce que l’on a fait l’étude. Si vous faites une étude dans les quartiers riches de New York, l’incidence sera de 20 à 30% peut-être. Si vous faites une étude sur les dames qui ont une infertilité, qui n’arrivent pas à tomber enceintes et on ne sait pas pourquoi, vous allez regarder dans le ventre, et dans 50% des cas, vous trouverez de l’endométriose. 50% des cas comme unique cause de l’infertilité! Ce n’est quand même pas rien!
Maintenant, si vous faites une étude chez les adolescentes, comme en 1995 il y a eu des études, qui ont en plus été refaites et avec le même résultat: chez les adolescentes qui ont des douleurs de règles très importantes, si vous donnez un traitement correct et qu’il ne fonctionne pas, vous allez regarder dans le ventre, et vous allez trouver de l’endométriose dans 70% des cas. C’est quand même assez important et un problème qui n’est donc pas rare.
Si vous faites une statistique en Afghanistan, il y aura 0 endométriose. Tout d’abord les femmes ne sont pas examinées, elles ne vont pas chez le gynécologue, c’est tout. Elles n’ont pas le droit d’aller chez le gynécologue. Un patient qui est venu du Pakistan aussi disait qu’il y avait un gros problème là-bas, car ils ne veulent pas former les femmes, ils ne veulent pas qu’elles fassent des études. Ils sont embêtés, car ils ont besoin de gynécologues, mais ils ne veulent pas que les hommes examinent les femmes, donc il faut quand même des femmes, mais ils ne font pas confiance en elles. Donc, il y a quand même des femmes formées comme gynécologue, mais qui ne peuvent pas opérer parce qu’on n’a pas confiance en elles. Ce sont les femmes qui font le diagnostic, et puis après, on passe en salle d’opération. Le gynécologue homme ne va pas voir la femme, elle va être cachée, seulement son ventre sera visible et puis il va rentrer dans le ventre et faire l’opération.
Les statistiques de détection de fréquence ont été améliorées ces dernières années. Le délai de diagnostic est une notion importante. Pourquoi? Parce qu’une petite endométriose “sympathique” est plus facile à traiter qu’une grosse méchante. La maladie, même si elle peut être assez lente sur des années, elle peut endommager gravement des organes. Si vous avez les trompes détruites et les ovaires détruits, après vous pouvez avoir la vessie, le vagin, ça commence à devenir difficile. D’où l’intérêt de faire un diagnostic le plus tôt possible. Les délais de diagnostic se sont aussi améliorés au cours de ces dernières années, de 12 ans il y a 20 ans, nous sommes passés à 6 ans, entre le début des symptômes et le diagnostic. 6 ans, ça reste quand même pas mal encore.
La difficulté du pourquoi cette maladie est «mal diagnostiquée» est multifactorielle probablement. C’est une maladie qui touche différents organes et donc donne différents symptômes. On ne peut donc pas dire que la douleur des règles, c’est automatiquement de l’endométriose. Il faut évaluer l’intensité, il faut évaluer la personne, quand viennent ces douleurs (en début ou fin des règles, ou tout le long), etc. Ces facteurs vont nous dire qu’il y a quelque chose qui ne va pas pour ce qui est de l’aspect quantitatif. Pour l’aspect qualitatif, c’est d’écouter. Comme je dis toujours à mes étudiants, une des clés c’est le temps. Il faut écouter ce que les patientes vous disent et si elles ne vous le disent pas, il faut poser les questions.
C’est quand même difficile aussi de dire certaines choses pour les femmes. Il faut aussi penser que ça touche des zones intimes, donc ce n’est pas toujours facile de dire «j’ai mal pendant les rapports», donc c’est difficile. Aussi, les femmes pensent pour ce qui concerne l’intimité «si j’ai mal pendant les rapports alors ça va passer, c’est une période, ça ira mieux après, on s’arrange, on trouve des positions» et alors le temps passe, elles ne parlent pas. Jusqu’au moment où elles n’en peuvent plus. Mais avant ça il y a une période où elles se disent «je suis faite comme ça», «je suis mal faite», «je suis un peu folle». Si par malheur, ces femmes tombent sur un praticien qui leur dit que c’est dans la tête, alors ça va trop loin et ce n’est pas bien. Je parlais l’autre matinée avec un infirmier à ce sujet. Sur 8 patientes en une matinée, 3 m’ont dit la même chose «ah mon gynécologue m’a dit que c’est normal d’avoir mal pendant les rapports sexuels; est-ce que vous pensez que c’est normal?». La réponse est Non! Donc encore aujourd’hui des praticiens et des professionnels disent ce genre de choses.
Évidemment, cela fait des dégâts psychologiques sur le temps. Ça, c’est un des facteurs de la difficulté de cette maladie.
Un autre facteur est probablement le traitement. Nous sommes face à une endométriose et maintenant comment traiter cette maladie complexe? Si vous avez une femme de 45 ans qui a des douleurs de règles, une grosse endométriose mais qu’elle a déjà eu ses enfants ou elle ne veut plus d’enfants, on essayera de traiter médicalement, sauf s’il y a des signes d’appel. Il y a des signes d’appel qui peuvent être graves avec l’endométriose profonde. Il y en a 2 qui sont potentiellement mortels. C’est l’occlusion intestinale et l’autre, c’est si vous avez une infiltration des uretères (canaux qui drainent l’urine des reins à la vessie) alors, vous avez un blocage des reins, les reins se dilatent, s’ensuit une insuffisance rénale. L’incidence pour ces cas est rare; encore une fois, la maladie est lente. On ne se retrouve pas du jour au lendemain avec des dilatations rénales (qui ne font pas forcément mal) et un rein qui meurt. Alors quand c’est un rein, ça peut aller, mais si ce sont les 2 côtés, on doit ensuite procéder à la dialyse et une transplantation, donc c’est sérieux. Ça se sont des indications opératoires qui ne se discutent pas.
Le traitement est complexe. Il faut traiter l’endométriose correctement, pour cela il faut savoir traiter un intestin, des uretères, un vagin, un diaphragme, cela veut dire que malheureusement, les interventions qui sont faites par des gens qui manquent de connaissances, et qui ne vont pas prendre de risque ne vont pas être complètes. Le problème est que si vous ne prenez pas des risques, vous n’enlevez pas tout (la maladie); si vous ne voulez pas aller vous frotter à l’intestin de peur de faire un trou dans l’intestin, vous laissez la maladie. Dans la suite, madame ira un peu mieux, mais la maladie va “revenir”. Mais elle ne revient pas, elle persiste. Il y a la récurrence ou la récidive et la persistance et quelques fois ce n’est pas très clair.
Prise en charge tardive, prise en charge globale déficiente, est-ce qu’une solution, selon vous, serait de mieux former les futurs médecins et de les sensibiliser à la maladie féminine, et à la complexité de la maladie elle-même, à la sensibilisation de cette maladie et à une meilleure prise en charge chirurgicale?
Absolument. Il y a plusieurs éléments. Au début de mon expérience dans les démonstrations opératoires, je faisais des commentaires. Et au bout d’un moment, on m’a dit «mais qu’est-ce que tu fais, les gens ne comprennent rien du tout, tu leur montres des trucs mais ils ne savent même pas poser le diagnostic». Donc, ce que je veux dire à mes étudiants est que le but, le “first step”, c’est d’y penser. Et ne pas dire à la patiente «écoutez madame ça ira mieux, ce n’est rien, vous avez besoin d’un psychiatre, c’est dans la tête». Première étape c’est d’y penser.
La deuxième, on ne peut pas dire à quelqu’un qui souffre «ah vous n’avez rien» mais plutôt «je ne sais pas ce que vous avez». C’est à nous de trouver pourquoi. Parfois on ne trouve pas, mais il faut être clair et ne pas dire «vous n’avez rien» mais plutôt «je ne trouve pas ce que vous avez». Ensuite, il faut examiner, écouter et chercher les symptômes qui peuvent nous faire penser, «ah ça c’est quasiment à 100% une endométriose». Après il faut examiner correctement et faire le tour de ce que l’on connaît. On fait des investigations pour savoir de quel genre de maladie il s’agit, parce que la difficulté de cette maladie est aussi qu’elle est multiforme. Si la patiente présente une endométriose sur la vessie, elle peut vous dire:
– Chaque mois j’ai une cystite, mais on ne m’a jamais trouvé quoi que ce soit, on me donne des antibiotiques et ça marche bien.
– Est-ce que l’on a trouvé des germes?
– Non on n’a jamais rien trouvé.
Ça c’est typique d’une endométriose vésicale. Donc il faut bilanter. Lorsqu’on bilante on a déjà une idée de ce que l’on veut, de ce que l’on cherche. On peut donc déjà savoir à quel type d’endométriose on a à faire. Une endométriose sympathique avec 2-3 petits patchs ce n’est pas la même chose, la même maladie qu’une endométriose qui infiltre le diaphragme et la dame vous dit «chaque fois que j’ai mes règles, j’ai mal à l’épaule». Ces patientes viennent avec les scanners de l’épaule, et ils n’ont rien trouvé, l’épaule va bien. En réalité il se peut que ce soit une atteinte diaphragmatique par exemple. Vous voyez comment c’est la multi-focalités, les formes multicolores, si j’ose dire. Les symptômes, il faut les attraper et les analyser afin de savoir à qui on a à faire. Si c’est une endométriose, est-elle agressive? ou sympathique, plutôt légère? Et en fonction de ça, proposer un traitement. C’est d’une grande complexité, comme vous voyez.