Zeina et Emilie se sont rencontrées grâce à une amie commune en 2020. Étant toutes deux mamans solo, avec des expériences très différentes dans leur parcours de maternité médicalement assistée, et faisant le constat d’un isolement important en Suisse pour les femmes cheminant sur ce parcours, elles décident d’unir leurs forces pour créer une association visant à soutenir les mamans solo de Suisse romande. Elles sont toutes deux mamans de petits garçons de 4 et 5 ans.
Émilie : Un groupe WhatsApp a premièrement été créé en 2021, puis l’association s’est constituée en mai 2022. Sa croissance est importante et nous atteignons aujourd’hui environ 170 membres. Notre but principal est de créer une communauté d’entraide et d’échange pour les femmes qui réfléchissent à la maternité en solo, celles qui sont en démarche de PMA et celles qui sont déjà mamans.
Zeina : Il est important de souligner que nous ne promouvons pas la maternité solo à tout prix. L’association a pour but de soutenir les femmes ayant choisi de faire un enfant sans partenaire avec l’aide d’un/des donneur-s mais nous rendons attentives les membres qu’un tel choix ne convient pas à tout le monde. Nous conseillons et écoutons sans encourager les femmes qui ne sont pas prêtes (notamment psychologiquement ou financièrement). Les procédures de PMA sont complexes, spécifiques et suscitent de nombreuses questions chez nos membres. Nous demandons donc de ne pas échanger d’informations sur les médicaments, car chaque traitement doit être supervisé par un spécialiste et adapté à chaque cas particulier. Nous rappelons que nous ne sommes pas des expertes en PMA. Notre engagement principal est d’épauler les mamans solo en Suisse romande et de leur offrir un réseau de soutien.
Émilie : On nous a souvent posé la question si nous avions des liens avec des cliniques. Notre association n’a aucun lien avec des cliniques cherchant à recruter de nouvelles clientes. Nous ne sommes pas une plateforme de recrutement ou d’experts médicaux. Nous souhaitons que les discussions restent centrées sur le soutien émotionnel, social, éducatif, administratif, en lien avec nos expériences personnelles.
Zeina : Nous organisons des réunions sur des sujets pouvant intéresser les membres : les questions des femmes en réflexion, le soutien aux femmes en parcours de PMA, le don d’ovocytes ou le choix d’un deuxième enfant en sont quelques exemples.
Nous proposons également des rencontres en présentiel, principalement sous forme de brunchs à Genève et Lausanne.
Nous organisons également chaque année une fête de Noël, une tradition festive qui permet notamment à nos enfants de se retrouver avec d’autres enfants qui n’ont pas de papa. Ils réalisent ainsi qu’ils ne sont pas seuls dans cette situation et cela crée pour eux une nouvelle forme de normalité.
Nos membres qui s’interrogent sur la maternité en solo participent aussi à ces rencontres en présentiel, ce qui leur permet de découvrir plus en profondeur notre modèle familial et de voir s’il est adapté à leur désir personnel. Nous comptons également dans ces réunions des membres ayant entamé une deuxième grossesse en solo. Nous sommes très heureuses de leur offrir la possibilité de se retrouver et d’échanger.
Au printemps 2024, nous avons organisé une conférence internationale avec comme invitée Dr Sharon Pettle, psychologue clinicienne basée à Londres et spécialisée dans les familles non conventionnelles. Sa communication portait sur les recherches scientifiques effectuées ces dernières années sur les enfants provenant de familles monoparentales. Cette conférence a suscité beaucoup d’intérêt chez nos membres et c’est une expérience que nous aimerions reconduire chaque année sur des sujets variés.
Zeina : Les groupes sont constitués d’année en année, mais notre population est très mobile : par exemple, une responsable qui tombe enceinte risque de devoir se retirer de ses tâches car, avec l’arrivée du bébé, cela fera trop. Nous n’arrivons donc pas toujours à assurer une continuité durable, car nos membres changent de statut et doivent parfois abandonner temporairement certaines responsabilités. Cependant, les membres du comité sont présentes dans les groupes pour veiller à ce que l’association poursuive ses activités.
Émilie : La stabilité de notre organisation et de notre comité est parfois difficile à maintenir, en raison de la situation de nos membres. Le but ultime de ces femmes est la maternité, et lorsqu’elles y parviennent, leurs priorités changent. Toutefois, nous avons toujours pu compter sur l’aide indispensable de certaines de nos membres qui ont partagé de leur temps, énergie et compétences précieuses pour nous aider à bâtir et faire grandir cette association.
Zeina : Nous avons un site internet sur lequel les personnes intéressées peuvent nous écrire pour nous informer de leur intérêt. Une membre du comité d’accueil prend alors contact avec elle par téléphone pour échanger et lui donner plus d’informations sur l’association, ses buts et ses statuts. Nous avons trois groupes principaux au sein de l’association : les femmes en réflexion, les femmes en parcours et les mamans.
Zeina : Nous fonctionnons pour l’instant uniquement avec les cotisations de nos membres. A présent que notre association a pris une ampleur considérable, nous souhaitons mener une recherche de fonds auprès d’organismes publics et privés afin de solidifier notre structure et pouvoir notamment recruter une personne qui se chargera de l’aspect administratif de l’association.
Émilie : Nos objectifs sont de stabiliser l’association et de lui permettre de durer. La visibilité et la reconnaissance politique sont des objectifs à long terme. Notre association grandit rapidement, preuve que cet espace de soutien est nécessaire.
Zeina : Nous ne sommes pas irremplaçables. Si un jour, Émilie ou moi décidons de partir, l’association doit pouvoir continuer.
Émilie : Aujourd’hui, les femmes célibataires suisses n’ont pas le droit d’accéder, dans leur pays, à la PMA (procréation médicalement assistée). De ce fait, cela contraint ces femmes à se rendre dans un pays étranger, souvent en Europe, comme l’Espagne, le Danemark, le Portugal, l’Angleterre où cette pratique est légale, afin de réaliser leur projet de maternité.
Zeina : Chacun membre se réfère aux pratiques de son canton d’origine, par exemple concernant les modalités de garde d’enfants, mais les documents peuvent varier selon les cantons, ce qui complexifie les réponses qu’on peut donner en tant qu’association. Nous essayons de nous appuyer sur les sites officiels comme celui des HUG ou du CHUV. Nous avons par exemple organisé l’an dernier une réunion avec des assistantes sociales des HUG qui ont aidé nos membres à comprendre les démarches administratives propres à la maternité en solo.
Émilie : En nous basant sur l’expérience de nombreuses membres de notre association nous constatons un flou juridique qui impacte, tant les femmes en parcours de PMA que le corps médical suisse. En amont des démarches d’insémination / fécondation ou une fois enceintes, certains médecins refusent de suivre leur patiente, alors que d’autres s’y engagent ouvertement. Sans soutien officiel ou de cadre légal, nous dépendons alors souvent de la bonne volonté des gynécologues.
Zeina : Nous avons récemment formé un groupe composé de membres impliquées dans la politique, dans le but de centraliser les informations et de les rendre accessibles. Ce groupe a pour objectif de comprendre le droit suisse en matière de maternité en solo et dans un second temps de tenter de faire évoluer les choses auprès des responsables politiques suisses. Ces changements prennent du temps. Rendre visibles nos situations est crucial pour faire avancer les choses.
Émilie : Le changement sociétal est bien plus rapide que le changement politique. Au sein de notre association, nous constatons l’arrivée de nouvelles générations de femmes, souvent dans la trentaine, qui envisagent la parentalité solo. La conception de la vie amoureuse et familiale évolue rapidement, et les politiciens et scientifiques peinent à suivre. Nous devons donc continuer de parler de cette réalité.
Zeina : J’ai récemment discuté avec une journaliste de la TSR de la question de l’illégalité du don de sperme en Suisse. Elle était étonnée par la manière dont la Suisse traite cette situation, qui non seulement fait perdre de l’argent à la Suisse, mais qui expose aussi les femmes suisses à certains risques (médicaux et financiers) en allant à l’étranger. Par ailleurs, la coordination entre les centres médicaux des divers pays concernés ajoute une difficulté supplémentaire.
Émilie : Partout en Europe, les États ont fait évoluer la législation pour s’adapter. Malgré nos obligations familiales et professionnelles, nous avons à cœur de militer pour faire connaître notre association et, pourquoi pas, changer les idéologies et les lois en Suisse.
Émilie : La visibilité et l’avancement politique sont des objectifs de fond qui, nous en sommes conscientes, prendront du temps. Nous avons été surprises par la croissance de l’association. Nous ne nous y attendions pas. Presque tous les dix jours, de nouvelles personnes nous rejoignent, ce qui montre qu’il y a un réel besoin pour les mamans solo de trouver un espace d’écoute et de soutien.