Laurence Dispaux est psychologue-Psychothérapeute, Sexologue clinicienne et conseillère conjugale, auteure de deux livres sur la sexualité, exerce à Morges et à Lausanne.
Elle a notamment publié Question de sexe. Six ans de questions à deux sexologues, paru en Juin 2021 et Le désir de la femme, guide pour le couple, disponible depuis avril 2022. Rencontre.
Souvent, lors de l’arrivée du nouveau-né, tous les discours qui entourent les nouveaux parents sont centrés sur le bébé – son bien-être, comment s’en occuper- et les mots sont rarement mis sur le thème de la sexualité. On explique à la maman qu’elle doit utiliser telle ou telle contraception et attendre tant de temps pour reprendre les activités sexuelles, mais on ne s’attarde pas ou très peu sur le vécu de l’intimité. Par conséquent, les nouveaux parents comprennent que ce thème est déplacé, inapproprié dans le contexte des soins. Restent les familles et les amis, mais ceux-ci sont souvent également très focalisés sur le bébé et sur le bonheur soi-disant universel et obligatoire de la maman. Si celle-ci éprouve des émotions davantage angoissantes ou tristes, des questionnements ou des peurs, il y a peu de place pour les exprimer, et même de la honte de les ressentir. Et toute chose qui ne peut pas être dite prend une valeur de secret coupable, d’où le tabou autour de la sexualité après l’accouchement.
Un peu de préparation, notamment en termes d’informations claires, devrait être donné pendant la grossesse pour que ce processus puisse débuter avant l’accouchement. Ensuite, il s’agira d’identifier avec la femme ce qui peut l’aider, en fonction de ses ressources propres : quel sens avait la sexualité pour elle auparavant, qu’est-ce qui était le plus important pour elle, quel plaisir y trouvait-elle, quels étaient les facteurs favorisants pour son désir (voir mon prochain livre qui paraîtra en mai 2022 : Laurence Dispaux et Yvonne Iglesias, Le désir de la femme, manuel pour le couple)1? Il faudra également que la femme se demande quelle place, concrète et mentale, elle souhaite donner à sa sexualité aujourd’hui, en fonction de ses idéaux et ses représentations de la maternité.
S’il a eu le syndrome de la couvade, il a peut-être aussi pris du poids, et ils peuvent faire équipe et se motiver pour perdre le poids ensemble après l’accouchement. Mais plus important va être son regard sur elle en tant que femme : peut-il encore regarder ses courbes et y voir simplement de la féminité (et non pas des kilos en trop), peut-il se positionner comme un homme qui veut la séduire et l’emmener dans la sphère sexuelle ? Autrement dit, peut-il tout au long de la grossesse et après, lui donner les petits rappels qu’elle est femme et pas seulement mère (les compliments, les regards appuyés, les gestes de séduction, le toucher sensuel etc) ? Peut-il, même si la pénétration devient compliquée les dernières semaines, continuer à la toucher au travers des massages et des caresses ? Peut-il reconnaître son rôle de femme au travers des attentions comme les fleurs, un bijou ou un vêtement ?
Le couple peut déjà se poser la question suivante : quelle est la signification, l’importance que l’on veut donner aux dimensions érotique/ romantique/ sensuelle de notre relation ? Si ils sont d’accord de vouloir préserver cette sphère, ils peuvent déterminer la fréquence souhaitée et réaliste pour des moments de rapprochement : des massages, des caresses érotiques ou simplement des moments à deux, des « rendez-vous amoureux » qui restent importants surtout dans cette période. Cela peut être des moments de repos à deux, d’ailleurs. Cela peut paraître scolaire mais je conseille d’agender ces moments, et de discuter de qui fait quoi (p.ex qui amène le bébé à la grand- mère, qui réserve un restau ou qui coule le bain et allume les bougies), pourquoi pas à tour de rôles. S’ils ne sont pas agendés, il y a de grandes chances que ces rendez-vous passent à la trappe.
C’est normal pendant quelques temps, et les sensations corporelles vécues par la maman pendant l’allaitement peuvent d’une certaine manière remplacer et prendre le pas sur son envie d’être touchée par le partenaire. Tôt ou tard, elle pourra à nouveau érotiser la poitrine en se la ré-appropriant, et il est aussi possible que ce soit le conjoint qui lui « rappelle » doucement que la poitrine est objet de désir.
En effet, il faut accueillir cette réalité que le spontané est moins évident, et profiter de ce qu’on appelle le désir réactif : le désir qui peut émerger lors des stimulations pour autant que l’on est dans un état réceptif, même si à la base on n’était pas dans le désir. Autrement dit, programmer des rapprochements (p.ex du temps pour s’embrasser ou se caresser) lors desquels le désir va peut-être, ou peut-être pas, grandir. Se laisser surprendre et profiter de cette période différente pour expérimenter d’autres pratiques, car les sensations chez la femme peuvent être très différentes et nécessiter (ou permettre) de sortir des habitudes. Par exemple, certaines vont avoir envie de plus de préliminaires sans pénétration, alors que d’autres vont justement découvrir des sensations plus fortes lors de la pénétration.
La consultation est une option s’il y a souffrance chez un ou les deux dans le couple, et peut être une occasion précisément de verbaliser ce qui est recherché dans la sexualité : une fois que le désir sexuel dicté par l’instinct de procréation n’a plus de raison, qu’en aimerait-on en retirer ? Du plaisir, un sentiment de proximité avec l’autre, une confirmation de la notion « couple », une rassurance sur notre attractivité, ou toute autre chose ?